Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
31 mars 2020 2 31 /03 /mars /2020 21:01

En ce début des années 50, la vie privée - ou supposée telle -  des têtes couronnées et des célébrités du cinéma et de la chanson s'expose de plus en plus à la une et dans les colonnes de magazines: il s'agit de les rendre plus humaines et ainsi de les rapprocher du lecteur dans un mouvement de partage affectif.

Le monde politique, évidemment, n'échappe pas à cette vogue quoique depuis la fin du XIXème siècle, la grande presse populaire ait déjà pris la peine d'entrouvrir les portes en nous glissant par exemple, dans l'intimité des présidents de la République à l'occasion de leur élection: c'est ainsi qu'en 1913, on n'ignore rien ou presque de ce qui est racontable sur le nouvel élu Raymond Poincaré et notamment de sa passion pour les animaux.

Ce qui change, dans les années 1950, c'est qu'à cette volonté des médias qui cherchent à émouvoir pour faire vendre, puissamment relayée par l'essor du photo-reportage, s'ajoute le besoin et je dirais même plus le désir, pour les hommes politiques les plus en vue, dans le contexte de la IVème République où les crises ministérielles sont si nombreuses, d'attirer l'attention, de se faire remarquer et de créer un lien de sympathie avec les Français pour ne surtout pas être oubliés et se faire un nom. Certains, à ce petit jeu, se révèlent d'ailleurs plus habiles que d'autres: c'est le cas d'Antoine Pinay qui cultive son image d'honnête homme sans ambition particulière, arrivé au pouvoir un peu par hasard et qui passe pour incarner le "bon sens" près de chez vous tandis que d'autres bénéficient de véritables campagnes de publicité à l'instar de Pierre Mendès-France, on pourrait presque dire "construit' par l'Express de Jean-Jacques Servan-Schreiber.

C'est dans ce contexte que, le 26 décembre 1953, Paris-Match nous fait pénétrer au 5 quai des fleurs, à Paris, au domicile de René Coty, nouveau président de la République et de son épouse et, le fait qu'ils aient accepté, prouve qu'on est en  train de changer d'époque et que l'on entre dans l'ère où les hommes politiques acceptent désormais, volens nolens, d'être mis en scène et montrés au public dans un scénario écrit d'avance. Voici donc René Coty, Français moyen ordinaire, propriétaire seulement depuis 3 semaines de l'appartement qu'il habite depuis 10 ans et menant une vie de famille tranquille au milieu de ses deux filles et de ses dix petits-enfants (9 filles et un garçon) qu'il rejoint le week-end dans leur maison d'Etretat. Du reste, Monsieur Coty a un train de vie modeste: il n'a qu'une seule bonne à son service, un Normande prénommée Micheline; Madame Coty lui sert volontiers la soupe quand elle ne se livre pas à sa passion pour la pâtisserie et, le soir, en simple pyjama, le futur président cède souvent à la joie d'écouter sur le nouveau tourne-disques qu'il vient d'acheter, de la musique classique et notamment la collection des symphonies de Beethoven offerte par ses petits-enfants, photographies à l'appui.

Tout, pourtant, ne semble pas faux dans ce portrait intime du nouvel élu. comme Georgette Elgey le raconte dans son Histoire de la IVème République, soulignant "une personnalité attachante, complexe et naïve, tout à la fois sûre de ses convictions et certaine de la fragilité du jugement humain".

Né au Havre en 1882, descendant d'une lignée d'instituteurs catholiques du pays de Caux, René Coty éprouve une foi sincère qui explique peut-être que, durant toute sa présidence, et quelles que soient les difficultés qu'il ait eu à affronter, il puisse se dire "heureux" dans son journal inédit qu'elle a pu consulter grâce à l'obligeance de l'écrivain Benoît Duteurtre qui est l'arrière-petit-fils du président.

Politiquement modéré, il se range dans les pas de Jules Siegfried, député-maire du Havre et personnalité importante de la IIIème République. Il lui succède d'ailleurs comme député en 1923 et exerce sans discontinuer jusqu'en 1954, à la Chambre puis au Sénat et, s'il vote les pleins pouvoirs au maréchal Pétain en 1940, il s'abstient, durant toute la guerre, de la moindre activité politique.

Profondément patriote, il s'engage dans l'armée en 1914 bien qu'il ait été réformé pour raison de santé et croit en la grandeur de la France, une France qu'il imagine, à la date du 15 août 1944, dans son journal, redevenant la première nation du monde par sa grandeur morale, son unité, l'ordre qu'elle saura concilier avec la liberté, ainsi que par ses sciences et ses arts, par sa primauté intellectuelle, par sa sagesse et par son énergie.

Avocat de formation, c'est aussi un homme profondément animé d'une volonté de lutte contre l'injustice. A ce titre, il se fait remarquer en 1910, à 28 ans, en devenant l'avocat d'un certain Jules Durand, syndicaliste révolutionnaire et poète, poursuivi pour incitation au meurtre à la suite de l'assassinat d'un non-gréviste lors d'une grève des dockers au Havre. Convaincu que celui-ci est victime d'une erreur judiciaire - Jules Durand a été condamné à mort -, Coty se bat, démontre le vide du dossier et obtient du président Fallières la grâce du condamné qui fut réhabilité par la Cour de cassation en 1918.

Cela ne l'empêche pas, en 1957, de laisser exécuter Jacques Fesch, fils de bonne famille condamné à mort pour avoir tué un policier et dont l'évolution spirituelle en prison l'a fortement impressionné. Certes, il aimerait beaucoup le gracier, mais craint une révolte policière. Aussi fait-il transmettre au futur condamné à mort, par l'intermédiaire de son avocat un message qui laisse songeur: "Dîtes bien à Jacques Fesch qu'il a toute mon estime et mon admiration et que je désirerais beaucoup le gracier, mais si je le fais, je mets en danger la vie d'autres policiers... Demandez-lui, je vous en prie, d'accepter ce sacrifice de sa vie pour que la vie d'autres gardiens de la paix soit préservée. S'il le fait, je lui en garderais une reconnaissance infinie."

Comme le dit Georgette Elgey, en conclusion de cet épisode: "La bonne conscience, la fidélité à ce qu'il juge son devoir, n'excluent pas chez René Coty une sorte d'inconscience ou d'innocence qui laisse pantois."

 

Partager cet article
Repost0

commentaires

Présentation

  • : Le blog de instantdinstants
  • : Instants d'instants est un blog à vocation généraliste abordant des thèmes variés (événements de la vie, actualité, musique, culture ...)
  • Contact


Recherche